Pourquoi les jeux solo narratifs reprennent de l’importance dans l’industrie du jeu vidéo

Pendant longtemps, la tendance semblait claire : le futur du jeu vidéo devait être collectif, compétitif et permanent. Entre 2017 et 2022, les jeux-service occupaient les classements des plus joués, des plus streamés et des plus rentables. Fortnite, Genshin Impact, Apex Legends, Call of Duty Warzone ont construit un modèle économique reposant sur l’engagement continu. Les studios et éditeurs y ont vu une mécanique prévisible : plus un joueur reste, plus il consomme de mises à jour, de saisons, de cosmétiques.

Pourtant, dans le même laps de temps, les jeux solo narratifs n’ont pas disparu, et surtout, ils n’ont pas cessé de performer. The Witcher 3 continue de se vendre plus de huit ans après sa sortie. Red Dead Redemption 2 a dépassé les 60 millions d’exemplaires vendus, un chiffre qui le place au niveau des mastodontes du multijoueur. Baldur’s Gate 3, pensé avant tout comme une expérience racontée et incarnée, a reçu le titre de Jeu de l’Année aux Game Awards 2023, devant plusieurs jeux en ligne. Ces données, accessibles dans les rapports financiers de Take-Two, CD Projekt ou Larian, montrent surtout une chose : le solo narratif n’est pas un marché niche. Il reste un pilier économique solide.

Ce retour en lumière tient à plusieurs facteurs concrets, pas à une vague nostalgie.

Joueur concentré dans une expérience de jeu solo narrative

Un rythme que le joueur choisit vraiment

Les jeux-service imposent un tempo. Défis hebdomadaires, passe de combat, cycles saisonniers, événements limités : le joueur est incité à revenir pour ne rien perdre. Cela crée une forme d’obligation douce mais réelle.
À l’inverse, un jeu solo narratif ne demande aucune récurrence. On a pu le constater avec God of War Ragnarök ou Star Wars Jedi: Survivor : l’expérience est conçue pour être finie. Cet aspect, dans une culture numérique saturée, est devenu un avantage. Le joueur peut maîtriser la durée de son engagement.

Il n’y a pas de morale sous-jacente ici. Simplement, le temps personnel est devenu une ressource rare.
Le solo le respecte.

Une place plus assumée pour les auteurs

Pendant que certaines productions cherchent l’équilibre entre rentabilité et accessibilité maximale, les jeux narratifs mettent souvent en avant une direction créative identifiable.
Disco Elysium n’existe que parce qu’un groupe d’écrivains issus de la scène littéraire estonienne voulait raconter une histoire politique où le joueur négocie avec ses propres idées.
Death Stranding est indissociable de Hideo Kojima, mais aussi de son partenariat avec l’industrie cinématographique (Guillermo del Toro, Nicolas Winding Refn, Léa Seydoux).
Baldur’s Gate 3 repose sur la table ronde des auteurs narratifs de Larian, dont les sessions d’écriture sont publiques, expliquées, documentées.

On peut aimer ou non ces œuvres, mais on peut dire qui les a faites, comment, et pourquoi.
Cela a de la valeur dans une industrie souvent opaque.

Des mécaniques de jeu qui n’excluent plus l’émotion

L’un des anciens arguments contre les jeux narratifs était leur supposée limitation : trop de cinématiques, pas assez d’interactivité.
Ce n’est plus le cas.
Les systèmes de jeu ne servent plus uniquement à “progresser”, ils servent à ressentir.

Dans Red Dead Redemption 2, la lenteur des déplacements fait partie du propos : on vit dans un monde qui s’éteint.
Dans Baldur’s Gate 3, le choix d’un dialogue est une mécanique autant qu’une ligne de texte : il transforme les relations de manière mesurable.
Dans Hades, le rogue-like devient un moyen de raconter l’usure, la répétition des tentatives, l’obstination.

Ce ne sont pas des intentions abstraites.
Ce sont des décisions de game design vérifiables dans les patch notes, conférences GDC et interviews de développeurs.

La circulation des œuvres favorise ces expériences

Les plateformes comme Steam, le Game Pass ou les soldes récurrentes facilitent l’accès aux jeux solo.
Un joueur peut acheter Outer Wilds ou What Remains of Edith Finch pour moins de 10 euros, sans risque financier.
Ce n’était pas possible dans le modèle distribution en boîte des années 2000.

Autrement dit : le solo narratif est aujourd’hui facile à découvrir.

Pas une revanche, une cohabitation

Dire que le solo “revient” suppose qu’il était parti. Ce n’est pas le cas.
Ce qui a changé, c’est que l’industrie reconnaît de nouveau sa valeur stratégique.
Il peut coexister avec le multi, sans le remplacer.

Les chiffres le montrent :
Il y a de la place pour Fortnite et Baldur’s Gate 3 en même temps.
Les joueurs ne sont pas un bloc homogène.

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