Ma première fois… au pad!

Voilà un article qui va me faire prendre des cheveux blancs ! J’ai goûté au jeu vidéo sur des bornes d’arcade, notamment Shinobi (1987) et Golden Axe (1989) de Sega. Ma toute première borne d’arcade avait l’allure d’un jeu de plateforme, mais c’était en fait un Shoot’em up « pédestre » dont j’ai hélas oublié le nom et l’éditeur. En effet,  je n’ai jamais eu l’occasion d’y rejouer ni en arcade ni sur console. Je me souviens avoir dirigé un cosmonaute du futur qui déambulait à pied dans un décor qui défilait horizontalement en 2D.

Le but était basique : tirer à répétition sur toutes les formes extraterrestres qui envahissaient l’écran, jusqu’au boss de fin de niveau.

Il se dégageait du jeu une ambiance assez stressante, aux antipodes de certains jeux colorés et humoristiques proches des dessins animés. Le soin apporté aux décors et au design des entités extraterrestres pour les rendre lugubres et oppressants m’impressionnait. Je ne saurais dire aujourd’hui combien de pièces de 5 et 10 francs cette borne a englouties : soit j’étais complètement nul, soit le jeu était hardcore.

imagescawb4sdkJ’opte « modestement » pour la deuxième option, car en plus de toutes les buches que les développeurs mettaient sadiquement dans les jambes du cosmonaute, un temps était imparti pour finir chaque niveau ! Une vraie torture qui me transformait de fond en comble. De la sueur me dégoulinait sur les joues, les cheveux se collaient par paquets sur mon front trempé. Le cœur battant, j’avais le souffle court et ma mâchoire était impossible à desserrer. Mes jambes tremblaient toutes seules, mais je vous rassure, ce n’était pas une crise d’épilepsie. J’avais eu un orGAsME, une jouissance liée non pas au sexe, mais à la découverte du plaisir absolu que pouvait procurer le jeu vidéo. Mon père, qui m’accompagnait dans les bars puisque je n’avais pas l’âge, me retrouvait déboussolé, la bave aux lèvres et le visage rouge comme une tomate. Le retour sur Terre était aussi violent que la claque infligée à Hulk lorsqu’il retourne à l’état pitoyable de Bruce Banner !

atari-stw-b-73739-131La première console de jeu

Passons à la suite logique : la découverte du jeu vidéo à la maison. A l’époque, je fréquentais une école primaire en banlieue parisienne. Pour respirer autre chose que du gaz carbonique et aller plus loin que les barres d’immeubles qui me servaient de voisinage, mes parents m’avaient envoyé à la campagne chez oncle Bernie. Toute la famille contemplait une drôle de télé munie d’accessoires plein de fils : le duo clavier / souris couleur « blanc cassé ». Ça doit faire un choc aux plus jeunots, mais au milieu des années 1980, le top du jeu vidéo domestique ressemblait à ça :

Comment rêver mieux ? Ecran dédié spécialement au jeu vidéo, monstre de puissance graphique comparé aux consoles, joystick “manche à balais” au lieu de l’infâme croix directionnelle qui faisait mal au pouce. L’Atari 1040 STf comprenait 1 Mo de mémoire vive, une résolution de 640×200 pixels en 4 couleurs, un lecteur de disquette 3″5, et 2 ports joysticks. Pour moi, c’était l’arcade à la maison ! Pourquoi mon oncle était-il le premier de son village à acquérir ce que l’on appelait un « ordinateur personnel » ? Oncle Bernie n’est pas vraiment un geek, il est plutôt du genre à aller couper du bois en forêt pour se distraire. Je n’en ai aucun souvenir (sinon au détour d’une conversation), mais mon père, mes cousins et mon autre oncle possédaient tous des ordinateurs personnels bien avant oncle Bernie. Mon père avait d’ailleurs le « Sinclair ZX-81 » de 1981, ordinateur sur lesquels ont programmés, adolescents, les plus grands noms du jeu vidéo (Eric Chahi, Frédéric Raynald et Paul Cuisset).

A bien y réfléchir, je pense que c’est l’influence de la famille qui a poussé oncle Bernie à s’offrir le dernier cri de chez Atari. Il avait choisi une marque orientée gamer : depuis la sortie de l’Atari 2600 en 1977 et ses 20 millions d’exemplaires vendus, Atari signifiait immédiatement « console de jeux » dans les mentalités. Oncle Bernie ne faisait pas de compta ou de la bureautique chiante à mourir : des boites à chaussures remplies de disquettes de jeux trônaient sur une étagère. Le plus drôle, c’est qu’après avoir acheté chacun son ordinateur et l’avoir exploité jusqu’à la dernière disquette, aucun des membres de ma famille n’a persévéré dans la voie geek. Atari ne se remit jamais vraiment du « Krach du jeu vidéo » (crise économique américaine de 1983). La crise n’est devenue flagrante aux yeux du public que bien plus tard, avec la mort d’Atari en tant que constructeur de consoles. La famille a réussi à me transmettre le virus dans ma plus tendre enfance avant de retourner à des occupations plus traditionnelles : jeu de rôle papier pour mes cousins, batifolage en tracteur pour oncle Bernie. Et moi, des étoiles plein les yeux, j’ai demandé la Master System pour noël.

fsLe jeu qui a changé ma vie : Dungeon Master (1987)

J’ai passé des heures à regarder mes cousins et oncle Bernie jouer à Dungeon Master (ce jeu attirait mes cousins chez oncle Bernie car ils ne pouvaient y jouer que chez lui : la protection contre la copie de Dungeon Master était particulièrement efficace). C’était le jeu le plus vendu sur Atari parce qu’il reprenait les mécanismes du jeu de rôle papier le plus populaire des années 1980 : « Donjons et Dragons ». La représentation des jeux se faisait en général en 2D, ou plus rarement en 3D isométrique. Avec Dungeon Master, pour la première fois, un jeu de rôle est entièrement en 3D. A l’écran, on voit ce que voient réellement les persos. Dungeon Master donne naissance à un genre en soi : le jeu de rôle en temps réel (et non au tour par tour, comme dans les vieux jeux). Le déplacement « case par case » en vue subjective signifie que l’on se prend les monstres en pleine figure ! A chaque pas, il y a un danger potentiel (actionner un levier peut par exemple ouvrir une grille nécessaire à la progression, ou bien ouvrir un piège ou libérer involontairement une escouade de monstres). Il faut être d’autant plus vigilant que les murs se ressemblent tous, si bien que Dungeon Master représente un véritable labyrinthe oppressant.

fL’interface du jeu demande un temps d’adaptation avec sa kyrielle d’icones en tous genres, et sa langue, un anglais quasiment impénétrable pour un petiot. C’est de là que vient mon goût pour la langue anglaise : je voulais déchiffrer les menus du jeu pour optimiser mes parties. Au début du jeu, il faut choisir une équipe de 4 personnages parmi les 24 disponibles. Ce que vous voyez en dessous des portraits correspond aux armes de départ. Mon oncle avait réussi à booster le n°17 : Tiggy Tamal, un mage capable de tuer les monstres en un coup de baguette. Comme les jeux vidéo et les jeux de rôle papier avaient un langage nouveau pour moi, je ne suis jamais allé bien loin (le jeu est « hardcore » avec ses persos customisables en 4 grandes classes : Ninja, Fighter, Priest, Wizard, des caractéristiques cachées, etc.). Je choisissais donc des persos avec des armes stylisées : les fléchettes empoisonnées du n° 22 : Gando Thurfoot, et les shurikens du n° 18 : Wu Tse Son Of Heaven. Regardez bien les images du jeu : étant encore enfant, il m’a fallu beaucoup de patience pour gérer correctement l’inventaire (le poids des armes et trésors influent sur la vitesse des persos). Lorsque les persos sont trop blessés ou fatigués, il faut les faire se reposer sous peine de voir leurs mouvements et caractéristiques handicapées. Mais on prend le risque de sursauter : l’équipe peut être surprise en plein sommeil par des monstres. Il faut aussi penser à nourrir les persos, sinon ils meurent de faim et de soif. Par ailleurs, le donjon n’est pas bien éclairé et il faut économiser ses torches sous peine de se retrouver dans le noir. Je ne vous raconte pas la panique lorsque la dernière torche s’éteint peu à peu, et que l’on entend un monstre approcher dans son dos.

dungeon-master-atari-stVoilà la saleté qui m’a marqué à vie parmi les 25 monstres différents qui composent le bestiaire. Au début, on passe son temps à ouvir des portes pour faire le plein de l’inventaire. Or, une fichue momie est sournoisement cachée ! Je venais de mettre une bonne demi heure à choisir scrupuleusement mes 4 persos et à récolter des objets dans un silence complet (il n’y a aucune musique dans le jeu), quand « HAAAOOOURG » (cri de la momie), je me fais attaquer ! Je supose qu’oncle Bernie avait laissé le son élevé exprès, car il m’observait depuis le début de la partie. Il était hilare, et moi je tremblais de peur. Une vidéo donne un excellent apperçu de Dungeon Master sur Atari.

Vous étiez trop petit pour pouvoir y jouer ? Vous n’étiez pas encore né (houla, ça y est : je suis un vieux c…). Il faut absolument que vous essayer ce monument qui a tout inventé : de l’action en 3D temps réel, un inventaire complet à gérer, une vision subjective, une évolution pointue des persos. C’est avec ce genre de jeux que l’on comprend pourquoi la qualité des graphismes n’a pas l’importance qu’on lui prête haubituellement. Ce qui compte, c’est avant tout l’immersion, l’ambiance et les sensations procurées : bonjour le stress dû à la momie ! Retrouvez ici une version jouable et améliorée : http://www.abandonware-france.org/ltf_abandon/ltf_jeu.php?id=285

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Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn.
Créateur de singularités.

Alexandre Auteur
Rédacteur en chef du Vortex. Amateur de Pop-Corn. Créateur de singularités.